Appel à état d’urgence culturel//états généraux de l’art vivant

APPEL A ETAT D’URGENCE CULTUREL//ETATS GENERAUX DE L’ART VIVANT

La mise au point mort de tout le secteur de l’Art Vivant depuis un an et pour quelques mois encore a plongé le secteur dans un grand désarroi et nombre de ses acteurs ne survivront pas à la pandémie si des mesures urgentes et plus adaptées, notamment au modèle économique des compagnies indépendantes, ne sont pas mise en oeuvre rapidement. Les intermittents sont placés dans une situation de précarité jamais atteinte et les différés de l’annonce d’un prolongement d’une année supplémentaire de l’année blanche sont indécents au regard d’un risque de 3ème vague psychiatrique éminent dans nos métiers. Plus largement, le secteur des arts vivants redoute une extinction massive des « espèces » et un appauvrissement sans retour de la diversité des acteurs et des pratiques de la filière. Au-delà de la situation d’urgence culturelle, c’est à l’ouverture d’Etats généraux de l’Art Vivant que nous en appelons, madame la Ministre, cet été et tout au long de la saison 2021/2022, pour que l’exception culturelle française ne cède pas la place à une normalisation de la scène française…

A la suite de l’appel lancé par Cécile Helle, maire d’Avignon, par le maire de Marseille Benoît Payan et nombre d’acteurs de la scène française, Laurent Rochut, directeur de LA FACTORY//Fabrique permanente d’art vivant, à Avignon, a voulu interpeler madame la ministre Roselyne Bachelot, le 30 janvier 2021, en lançant l’Opération Théâtres Ouverts.  

Se faisant le porte-parole des compagnies les plus fragiles, des autrices/auteurs et des intermittents en proie à une grande précarité, ce mouvement, par les solidarités et les convergences qu’il a suscitées est un appel du gouvernement à la prise en compte d’un Etat d’Urgence culturel.

Les intermittents ne peuvent plus attendre. La situation de l’intermittence devrait inquiéter son ministère de tutelle. Si une vague psychiatrique est à redouter à l’issue de cette longue année de restrictions pour causes sanitaires, il est à craindre que les intermittents seront en première ligne. Une première année blanche les laisse déjà avec des revenus revus à la baisse de plus de 30 %, pour la plupart d’entre eux, et l’absence de décisions rapides concernant une reconduction pour une année supplémentaire est une incertitude qui pèse plus lourd chaque jour. C’est indigne. Cette attente est longue « comme une nuit qui ne voit jamais le jour » et l’horizon d’un premier septembre avec une bascule au RSA massive relève de la cruauté mentale.

L’Etat d’urgence culturel devrait être décrété, aussi, pour les compagnies du « milieu de cordée ». Le ministère n’est pas sans ignorer que la césure public/privé qui scinde l’art vivant en deux grandes familles, en France, recouvre en vérité un écosystème bien plus complexe et surtout plus varié. Entre les grandes institutions, en prise directe avec le Ministère via les DRAC, et les grandes sociétés privées de production qui structurent l’industrie du spectacle, entre divertissement et marché du loisir culturel, il existe un artisanat pluriel, dense et singulier au regard du reste du monde. Cet entre-deux comprend des compagnies plus ou moins aidées par leur territoire, plus ou moins innovantes en matière de scénographie ou de soutien aux écritures contemporaines, mais toutes font la diversité et la richesse de notre filière, son caractère unique et précieux que le personnel politique, quand il est en campagne, aime à appeler flatteusement l’exception culturelle française.

Or, cette exception est aussi et surtout un marché. Je n’appellerai pas les chiffres à la barre. Nous les connaissons tous et nous savons aussi que bien malmenés, on peut faire dire aux chiffres ce que l’on veut. Il n’en reste pas moins vrai que notre « identité culturelle », s’il en est une, est riche de cette diversité-là, enrichie aussi de toutes les vagues de migration et de toutes les francophonies qui savent si bien bousculer et réinventer nos écritures scéniques.

Ces compagnies de l’entre-deux sont en voie d’extinction madame la Ministre. Chaque jour il en meurt ; chaque jour des espèces s’éteignent et risquent de ne plus mêler leur voix au chœur de cette diversité.

La cause : La fermeture prolongée de toutes les scènes municipales, en régie directe ou en délégation de service publique, qui sont le marché majeur de toute la scène française. En achetant par des contrats de cession les pièces qu’elles programment, elles permettent aux compagnies de prospérer, de faire vivre l’intermittence, d’investir dans de prochaines productions. Ces théâtres ont fermé en mars 2020. Ils ont à nouveau fermé en novembre 2020 et semaine après semaine les annonces d’annulations de saison se succèdent. Au terme de ce décompte terrible, ce sont 10 mois de programmation qui auront été purement et simplement annulés, de mars 2020 à juin 2021. Quelles compagnies pourront se relever de cette hémorragie sinon celle qui auront une subvention assez importante pour couvrir toutes leurs charges de structure ?

Car le remède à ces annulations massives n’est pas suffisant :

-l’aide aux entreprises fragilisées par la Covid 19 mise en place par la DGFP et inadaptée au cycle de vie des compagnies. Elles sont indemnisées sur la base de leur revenus 2019 et ne perçoivent donc rien quand en 2019 elles ont investi dans la création d’un nouveau spectacle qu’elles auraient dû exploiter en 2020 et 2021.

-Le FUSV qui devrait aider à compenser les ventes annulées intervient à hauteur de 20%. C’est insuffisant pour la plupart d’entre elles pour couvrir leurs charges fixes et surtout récupérer l’amortissement de leurs productions que les ventes devaient assurer.

Il est donc urgent de nous entendre madame la Ministre. Vous vous félicitiez il y a quelques jours des montants que la France mettait au service de l’art vivant dans cette crise mais ce n’est quand même pas un simple effet de votre bonté. Nous ne nous trouvons pas seuls dans la difficulté, j’en conviens aisément, mais vous ne faites qu’indemniser notre interdiction de vivre, jouer, produire… Il ne manquerait plus que, assignés à nous taire et à attendre que le mal passe, nous soyions en plus réduits à faire la quête. 

Entendez-nous, tous, directrices et directeurs de scènes de tous vos territoires. Nous sommes au cœur de la tempête que vivent les compagnies. Nous ne demandons qu’à coopérer avec vos services pour que l’Art Vivant ne connaisse pas, à l’issue de cette crise, la plus grande extinction d’espèces que l’histoire de la scène ait connue.

Vous vous êtes engagée à ce que les Festivals aient lieu cet été, massivement. Le Festival d’Avignon devrait être la ligne de départ d’une reprise ambitieuse pour notre filière. Avignon peut-être le lieu et le moment d’une relance de l’économie du spectacle qui vienne en aide à tous les acteurs de cette diversité pour leur offrir des perspectives et un horizon apaisé. La saison 2021/2022 devrait, dans la foulée, permettre et prolonger cette renaissance, pourvu que tous les acteurs du secteur puissent encore en être.

Le festival d’Avignon rassemble tous les métiers et un grand nombre d’acteurs du spectacle sur toute la durée de son déroulement. Le mois de juillet pourrait être l’occasion d’Etats Généraux de l’Art Vivant qui permettent de compter les forces en présence ; de dessiner une relance économique et politique de notre secteur. Nous pourrons tirer des conclusions des faiblesses qu’aura révélées cette crise et réaffirmer la place et les missions de chacun dans cette exception française des métiers de la scène qui est aussi un avantage comparatif et un élément majeur de l’attractivité touristique de la France.

Vous nous trouverez toutes et tous à vos côtés pour préserver la diversité des espèces de l’Art Vivant et leur imaginer un avenir inventif et ambitieux.

Laurent Rochut, directeur de LA FACTORY, initiateur du mouvement Ouvrons nos théâtres…